Le roi endormi sous la montagne: du mythe à la théorie du complot

21/09/2025

I. Le trope du « roi endormi sous la montagne »

L'histoire du « roi endormi sous la montagne » (RESM) est un trope qu'on retrouve dans nombre de mythes, contes et légendes. Il se définit comme suit : un roi sage et bon que tous croient mort est en fait seulement endormi, en dormition pourrait-on dire, au fond d'un dédale de cavernes dont les méandres se déploient sous une montagne. L'heure venue, quand tout semblera perdu pour le royaume, il reviendra pour rétablir la situation.

Arrêtons-nous d'ores et déjà sur cet esquisse de récit. Ici, le roi est bien sûr la figure archétypale du héros, bon par essence, une figure paternelle et salvatrice du pouvoir temporel. Ensuite, il est dit qu'il n'est pas mort mais est comme pris dans un sommeil magique. De tous temps, le sommeil a paru aux hommes comme une mort temporaire, à l'image du cycle journalier où le soleil semble mourir à la tombée de la nuit mais renaît chaque matin à l'aube. Dans les régions plus septentrionales, le cycle est même annuel avec l'opposition nuit polaire / soleil de minuit où pendant plusieurs semaines la nuit/mort règne avant que finalement se lève le soleil invaincu qui régnera sur l'année à venir. Le roi est ensuite sous la montagne, sous terre, caché en une caverne inaccessible. Il semble au propre comme au figuré être mort et enterré et descendu aux enfers chthoniens. Nous décelons là un récit de type initiatique : mort symbolique, descente aux enfers, renaissance et résurrection en un nouvel être régénéré, un initié supérieur au néophyte qu'il supplante pour établir un nouvel âge d'or. Enfin, c'est sous la montagne que le roi gît. La montagne ne peut être ici que sacré tel un axe du monde dont la cime serait le domaine des dieux tel l'Olympe dans la mythologie grecque ou le mont Meru dans la mythologie hindoue.

Une des incarnations légendaires du RESM est le roi Arthur. Dans de nombreux écrits appartenant au cycle d'Arthur, il est dit que, mortellement blessé, il fut transporté jusqu'à l'île d'Avallon pour y être soigné. Un retour messianique était alors attendu en Bretagne afin de libérer le pays. Le nom même d'Arthur peut nous emmener vers un chemin connu. Les linguistes s'accordent à dire que ce prénom pourrait dériver du gaulois artos qui signifie « ours ». Comme chacun sait, les ours s'en vont hiberner en quelques cavernes quand vient l'hiver et n'en ressortent qu'au printemps. Outre le roi Arthur légendaire, nous pouvons aussi évoquer les Arthur historiques, ducs de Bretagne, enfant à qui leurs parents ont donné ce prénom avec une arrière-pensée politique et pour en quelque sorte forcer le destin de leur rejeton et lui faire endosser le costume du roi Arthur dans la lutte pour l'indépendance du duché breton.


II. Historicisation du trope

Très rapidement, durant l'antiquité et le moyen-âge, le trope du RESM a été actualisé autour de figures historiques et non plus légendaires. Un exemple connu est celui de Charlemagne qui, à en croire les frères Grimm dans leur Deutsche Sagen, serait condamné à rester enfermé dans un puits sans fond du château de Nuremberg. De même, Frédéric Barberousse dormirait avec ses chevaliers sous le Kyffhäuser, un massif de moyenne montagne en Allemagne. La légende assure que le jour où les corbeaux cesseront de voler autour de la montagne, il en sortira pour rétablir l'Allemagne dans toute sa splendeur. Son petit-fils, Frédéric II jouit d'une même légende. Dans son sommeil magique, comme en animation suspendue, sous l'Etna, il attendrait le jour du jugement. Enfin, Sébastien Ier, roi du Portugal, est soumis lui aussi au traitement du RESM. On pourrait multiplier à l'envie les exemples. Toutes ces légendes apparaissent en période de troubles et de crises. Elles semblent être comme une bouée de sauvetage spirituelle à laquelle le menu peuple s'accroche quand tout le pays semble partir à vau-l'eau et être submergé par des forces antagonistes. Si ce trope est si répandue, c'est qu'il résonne fortement dans l'âme humaine et qu'il cristallise en quelque sorte l'aspiration à la venue d'un homme providentiel qui retournerait la situation quand tout semble perdu.


III. Les usurpateurs

La puissance psychique du trope du RESM sur les foules n'a bien sûr par échapper longtemps à la sagacité de certains qui n'ont alors pas hésiter à en faire un outil politique. Ce premier avilissement historique de la belle légende n'est que le premier d'une longue suite qui se poursuit jusqu'à l'époque actuelle. Ainsi, on connaît beaucoup d'exemples historiques où certains, ne voyant rien venir à l'horizon malgré des temps difficiles, ont choisi d'endosser le costume de tel ou tel roi mort et enterré. Nous voulons parler ici des imposteurs et usurpateurs. Là encore, la liste en est longue aussi nous ne ferons que citer quelques cas parmi les plus fameux.

Les circonstances entourant le suicide de Néron et l'instabilité politique qui s'en suivra (année des quatre empereurs) donnera très vite lieu à une rumeur de survie et de retour : c'est le Nero Redivivus (Néron ressuscité). Plusieurs usurpateurs tenteront de faire croire en la survie de l'empereur afin que la prophétie s'autoréalise. Trois imposteurs sont connus : un pirate grec, un traître à l'Empire ne trouvant des appuis que chez les Parthes, ennemis historiques de Rome et enfin, dans une involution parodique, un usurpateur du deuxième usurpateur.

Plus près de nous dans le temps, la mort d'Ivan le Terrible en Russie a, elle aussi, ouvert le bal pour une succession de faux Dimitri, fils d'Ivan mort dans de troubles circonstances. Ici encore, la période suivant la disparition d'Ivan a été baptisé « temps des troubles » par les historiens. Le premier faux Dimitri est un moine défroqué qui réussira à prendre le pouvoir pendant près d'un an. Il s'appuya sur la Pologne, ennemi héréditaire de la Russie et fut reconnu comme authentique par la tsarine veuve d'Ivan. Le deuxième connut moins de succès que son prédécesseur et fut reconnu comme légitime par l'épouse du premier faux Dimitri. Ainsi, le faux légitime le faux. Le troisième sera reconnu par un chef cosaque ayant connu le deuxième et devra, pour un temps, partagé la scène avec un quatrième faux Dimitri. De cette énumération, on peut discerner quelques lignes directrices. A chaque fois, l'imposteur apparaît loin du centre névralgique du pays et trouve des appuis chez les ennemis héréditaires ou dans les milieux traditionnellement rebelles au pouvoir central comme les cosaques. Sa légitimité décroît à chaque nouvelle incarnation, il est reconnu par sa pseudo-mère puis par sa pseudo-épouse, etc. Il est enfin toujours l'instrument de forces occultes ayant des buts politiques précis. Nous somme déjà loin de la belle légende originelle.

En France même, notre héroïne nationale, Jeanne d'Arc, a elle aussi eu son usurpatrice en la personne de Jeanne des Armoises. Jouant sur une vague ressemblance et reconnue par les propres frères de la défunte, elle se fera passer pour la pucelle avant de se rétracter. On sait que la première étape du deuil est le déni. Ainsi, on peut comprendre qu'une part non négligeable de la population, ayant vu en Jeanne une figure messianique de redressement national, ne pouvait tout simplement pas admettre sa mort. On conçoit aussi que certaines personnes sont creuses, vides en dedans et sans personnalité propre. La mythomanie, la manie de s'inventer une vie est alors un pis-aller, un bricolage psychologique afin de ne pas sombrer dans leur vacuité. Ces personnes peuvent porter leur vie durant un masque derrière lequel il n'y a rien à découvrir.

Sébastien Ier, déjà cité précédemment et dont nous reparlerons par la suite, aura quant à lui le douteux honneur de faire l'objet de quatre impostures successives entre 1584 et 1598.

L'histoire tragique du dauphin Louis XVII a elle aussi connu des rebondissements inattendus après son trépas. Un horloger et pyrotechnicien allemand, Karl Wilhelm Naundorff écumera l'Europe en tentant de se faire légitimer par les cours royales. Inhumé aux Pays Bas, il réussira l'exploit posthume de faire inscrire sur sa pierre tombale : « Ici repose Louis XVII... » Ses descendants sont d'ailleurs toujours en lice pour une éventuelle restauration.

Le cas de la grande-duchesse Anastasia est aussi une des grandes mystifications du XXème siècle. En 1920, on repêche dans un canal de Berlin une jeune fille ayant eu des velléités suicidaires. Anna Anderson clame bientôt qu'elle est Anastasia, réchappée par miracles des griffes des bourreaux rouges. Nous sommes ici en plein conte de fées et les studios Disney ne s'y trompèrent en en faisant l'héroïne d'un long métrage d'animation en 1997. Anna Anderson, de rebondissements en coups de théâtre, mènera une vie bien plus trépidante que l'austère existence à laquelle la vouait sa condition prolétaire originelle. Cette usurpation, la plus fameuse peut-être, est aussi la dernière ayant eu quelque envergure. À mesure que le monde se solidifie, que tout est archivé, classé, noté, documenté et numérisé, il est de plus en plus difficile pour les imposteurs de se montrer crédible longtemps.


IV. Les rumeurs de survie

Tous les imposteurs précédemment cités se sont appuyés sur ce qu'il est convenu d'appeler des rumeurs de survie. Cette croyance, dérivée du RESM, se développe lors de la disparition d'une personnalité connue, disparition dont les circonstances peuvent être troubles. Comme nous l'avons déjà dit, ces légendes peuvent être alimentées par le déni. Certaines personnes ne peuvent tout simplement pas admettre la disparition d'une personne en laquelle ils avaient placé tous leurs espoirs. Enfin, il ne faut pas rejeter l'hypothèse de la manipulation de personnes naïves dans des buts purement idéologiques ou politiques.

L'homme ayant le plus alimenté les rumeurs de survie est bien sûr Adolf Hitler qui, tel un RESM, ne se serait pas donné la mort à Berlin en 1945 au fin fond de son bunker sous-terrain mais serait parvenu à s'échapper, tantôt en Amérique du sud, tantôt carrément en Antarctique à bord d'un sous-marin secret afin de revenir un jour et de triompher de ses ennemis pour établir enfin un quatrième Reich mondial. Beaucoup de nostalgiques du régime hitlérien et pour les plus extrêmes d'entre eux versés dans des fariboles de type ovnis nazis sont restés dans le déni à la mort de leur guide adoré. On comprend sans peine comment la survie de l'archétype moderne du « méchant » peut avoir eu du succès. Si le cas de Hitler ne laisse planer aucun doute, d'autres pontes du régime ont eu, eux aussi, leur rumeur de survie attitré. Ainsi, on a longtemps cru que Martin Bormann avait réussi à s'échapper. Celui-ci a même était jugé par contumace. Il semble qu'il n'y ait aujourd'hui plus de doute sur sa mort à Berlin. Le cas d'Heinrich Müller, chef de la Gestapo est plus problématique. Encore aujourd'hui, on ne sait guère ce qu'il advint de lui. On a évoqué à son sujet un retournement pour aller travailler chez ses anciens ennemis de l'autre côté du rideau de fer en Allemagne de l'est. Nul doute que ses compétences et connaissances y auraient été très appréciées. Dans ces cas là, il se trouve toujours quelques témoins oculaires jurant leur grand dieu avoir croisé le disparu en quelques coin de la planète. Les dernières rumeurs font état quant à elles d'une mort à la fin de la guerre et d'un enterrement anonyme dans une fosse commune d'un cimetière juif en un ultime pied-de-nez ironique.

Dans un processus d'involution dégénérative maintenant bien connue et documentée, nous avons vu que le trope du RESM avait d'abord pour sujet un personnage légendaire puis une figure historique. Il s'était ensuite trouvé des usurpateurs surfant sur la légende en prétendant être une de ses têtes couronnées disparues. Avec Hitler et les rumeurs de survie, on passe du roi à l'homme politique mais le déclin n'en ait encore qu'à ses débuts. En effet, c'est désormais sur des vedettes du show-business que naissent ces rumeurs. La plus connue est bien sûr celle concernant Elvis Presley qui aurait mis en scène sa mort afin de quitter les feux des projecteurs et de jouir de son argent durement gagné tranquillement. Jim Morrison, le chanteur du groupe des Doors, décéda à Paris en 1971. Ici encore, et comme toujours dans les cas qui nous intéressent ici, les circonstances du trépas sont entourés d'un halo quelque peu opaque. Il serait officiellement mort à vingt-sept ans dans sa baignoire d'une crise cardiaque, prématurément miné par les abus en tous genres inhérents à la carrière de rock star. Des rumeurs concernant une overdose dans une boîte de nuit ainsi qu'une tentative de réanimation dans un bain glacé comme il est d'usage dans ces cas là se sont répandues. Le fait qu'il soit mort à Paris même et pas aux États-Unis semble déjà suspicieux pour certains. N'avait-il pas émis l'idée de tourner le dos aux excès et à la musique pour se concentrer sur l'écriture avant sa mort ? D'aucuns disent l'avoir croisé à Paris, après sa mort, dans la peau d'un jardinier public soignant les rosiers du jardin des Tuileries, image symbolique s'il en est d'un homme ayant accéder au paradis après être passé physiquement d'Apollon à Dionysos en quelques années.

Michael Jackson a lui aussi droit à sa rumeur de survie, régulièrement entretenue pas quelques fans inconsolables, enclins à la fabulation et prêts à croire à tout et surtout à n'importe quoi. Ainsi, ici ou là, on croit l'apercevoir. Il aurait orchestré son décès afin de revenir faire un come-back retentissant et jamais vu depuis au moins deux mille ans.


V. Les théories du remplacement

Nous avons ainsi vu qu'au cours du temps le trope originel s'était altéré voire même inversé (le roi peut-être devenu un antagoniste). Cette inversion peut aller encore plus loin. Nous voulons parler là du remplacement d'un personnage historique, qu'il soit mort ou vivant, par un sosie le remplaçant. C'est encore une fois Hitler qui ouvre le bal. Dès 1939, dans un livre s'intitulant « The strange death of Adolf Hitler », l'auteur anonyme prétend faire partie avec trois autres personnes d'un quatuor de sosies manipulé par les pontes du parti après la mort par empoisonnement de leur leader en 1938. Dans une autre rumeur, en 1945, c'est un sosie qui aurait pris sa place afin qu'il puisse s'échapper des griffes de l'armée rouge.

Dans un processus d'involution dégénérative, ce sont souvent des artistes qui cristallise de nos jours les fantasmes les plus divers sur l'éventuel remplacement de tel ou tel star. L'exemple le plus connu et documenté concerne Paul McCartney. Celui-ci serait en fait décédé dans un accident de voiture en 1966 et aurait été remplacé par le reste du groupe des Beatles par un sosie afin de continuer à traire la poule aux œufs d'or. Les enregistrements ultérieurs du groupe et les pochettes d'album contiendraient des indices allant dans le sens de cette théorie que des aficionados du groupe traquent fébrilement avant de partager leurs trouvailles au sein de cette quasi-secte qui les regroupe.

Descendons encore d'un cran dans l'importance des personnes sujettes à ces rumeurs en évoquant le cas de la chanteuse pour midinettes Avril Lavigne qui a sa propre théorie du remplacement par un sosie suite à un pseudo-suicide en 2003.

Mélania Trump, la compagne de Donald, serait elle aussi remplacé par un sosie à en croire certaines sources sorties de nulle part.


VI. Un peu de hauteur

Nous avons ainsi vu comment au cours de l'histoire le trope du RESM s'est actualisé en figures historiques, usurpateurs et rumeurs de survie pour finir par une inversion totale en théorie du complot de remplacement par un sosie. Prenons un peu de hauteur et revenons sur nos pas, très humblement car nous allons maintenant évoquer des sujets pour lesquels nous ne prétendons pas disposer de toutes les compétences nécessaires pour leur rendre pleinement justice.

Tout d'abord, nous pouvons reparler de cette dormition souterraine qui fait écho aux rites funéraires d'inhumation. On peut se demander ce qui a poussé les premiers hommes à enterrer leurs morts en dehors de considérations purement hygiéniques. Nous atteignions là les les limites de ce qu'il est possible d'expliquer avec les connaissances à notre disposition. La croyance en une vie après la mort et en l'existence d'une âme éthérée séparée du corps physique semble fonder ces rites. Nous pourrions même poser la question suivante : l'humanité ne naîtrait-elle pas avec le culte des ancêtres ? Quoi qu'il en soit, le trope du RESM nous renvoie au début de l'histoire humaine et n'est pas sans nous faire penser aux tombes royales et autres tumulus que l'on peut trouver un peu partout dans le monde. La pierre tombale elle-même n'a-t-elle pas pour but initial d'empêcher physiquement les défunts de revenir à la vie en s'interposant entre le monde des morts et celui des vivants ?

On trouve dans l'histoire de Jésus Christ certaines résonances avec le trope du RESM. Il y a même comme des répétitions préparatoires, au nombre de trois comme dans tout bon conte qui se respecte. Premièrement, c'est l'épisode de Lazare qui peut nous intéresser. Celui-ci, mort depuis quatre jours et enseveli en son sépulcre en sort vivant sur l'ordre de Jésus. Un peu plus tard, et après sa propre mort et mise au tombeau, les saintes femmes constatent que la lourde pierre qui obstruait son caveau a été déplacée et que la sépulture est vide. Jésus apparaît ensuite à plusieurs de ses disciples. C'est là la deuxième itération d'une sortie de terre. Il est à ce sujet intéressant de se pencher sur trois hypothèses qui ont été faites par les historiens pour expliquer cette résurrection. La première est celle de l'évanouissement (swoon hypothesis en anglais) dans laquelle Jésus ne serait pas mort mais seulement plongé dans une sorte de coma ou d'animation suspendue et ainsi il n'y aurait là aucun miracle. La seconde hypothèse est celle du vol du corps (stolen body hypothesis). Ici, le corps de Jésus, après sa mise au tombeau, aurait été dérobé pas ses partisans et cela expliquerai que le sépulcre ait été trouvé vide. La troisième et dernière hypothèse est celle de la substitution (substitution hypothesis). Il existe deux variantes à cette théorie. Toutes deux se fondent sur l'existence d'un frère jumeau ou sosie de Jésus qui serai mort à sa place ou aurai pris sa place après son trépas. Cela serai étayé notamment par le nom même de l'apôtre Thomas, celui là même qui doute de la résurrection. Le prénom « Thomas » est, nous dit-on, inconnu en Galilée et signifie « jumeau » en araméen. Cela n'est pas sans nous rappeler ce que nous avons pu dire au sujet de l'évolution du trope, notamment sur les usurpateurs et autres théories fumeuses de remplacement. Dans le cas de Jésus Christ, nous pouvons noter au passage cette tendance de certains historiens à vouloir tout expliquer, même et surtout l'inexplicable, dans une volonté de démystification et de dévoilement, comme si, pour eux, le miracle était intolérable. Enfin, la troisième résurrection du Christ, qui reste à venir, nous amène à évoquer la notion de messianisme. Sur le plan religieux, cette idée stipule la venue à la fin des temps d'un messie rédempteur de l'humanité. Ici, le trope du RESM prend une tout autre envergure. On passe ainsi du sauveur du royaume originel au sauveur de l'humanité entière. Quasiment chacune des religions les plus importantes développent des idées similaires. Ce sujet mériterait en lui-même un long développement dont nous ne nous sentons ni capables ni compétents pour lui donner la profondeur qu'il mérite. Nous dirons seulement que dans l'eschatologie chrétienne, la parousie, le second avènement du Christ viendra au cours du jugement dernier pour établir la Jérusalem Céleste.

Pour en rester dans le domaine religieux, nous ne pouvons pas ne pas évoquer l'occultation du douzième imam Muhammad al-Mahdi dans la religion musulmane. Ici, l'idée est que cet imam est occulté, c'est-à-dire caché, et qu'il reviendra, accompagné d'Issa, c'est-à-dire Jésus, à la fin des temps. Là encore, nous ne nous sentons pas légitimes pour rendre compte comme il se doit des développements que le sujet mérite. Nous pouvons néanmoins citer pour mémoire divers personnages historiques ayant prétendus être le Mahdi. Le premier d'entre eux est Muhammad Ahmad ibn Abd Allah Al-Mahdi (1844-1885), un chef politique et religieux qui fondera un état théocratique au Soudan. Le deuxième est Limamou Thiaw (1843-1909), figure sénégalaise de l'Islam qui se proclamera Mahdi. Le troisième est Sayyid Ali Muhammad Sirazi, connu sous le titre de Bab (1819-1850) qui déclarera être le Mahdi en Iran et fondera la religion babiste. Enfin, un quatrième est Mirza Ghulam Ahmad (1835-1908) qui fondera un mouvement religieux au Pakistan. Ces quatre prétendants ne sont pas sans évoquer ce que nous avons pu dire des usurpateurs comme notamment la série des faux Dimitri en Russie et ce sans juger de leur sincérité respective. Leur contemporanéité est en outre remarquable et reste à être expliqué.

Ce développement relatif au domaine religieux et à des croyance qu'on peut qualifier de millénarisme nous semble avoir sa place dans cette étude du trope du RESM. Le millénarisme est l'idée d'un règne mondial d'un messie à venir et qui déboucherai sur un paradis terrestre retrouvé. Enfin, il existe dans les croyances populaires chrétiennes un personnage prophétique appelé le Grand Monarque supposé se manifester à la fin des temps pour établir une monarchie catholique étendue au monde entier.

Nous finissons cette partant en reparlant de Sébastien Ier, roi du Portugal. Nous avons dit que sa personne avait été usurpé à plusieurs reprises mais cela va plus loin. À mesure que la possibilité physique d'une survie s'amenuisait, la rumeur de survie s'est muée en messianisme, en espoir de la venue d'un homme providentiel pour le Portugal afin de lui redonner sa grandeur du temps de son empire colonial. Cette idée se répandra jusqu'au Brésil où, au XIXème siècle encore, des paysans pauvres attendront sa venue afin qu'il vienne les libérer de la république athée du Brésil.

Nous terminons là ces quelques considérations en ayant bien conscience que nous n'avons fait qu'effleurer le sujet dont la richesse dépasse ici notre propos initial.


VII. Du mythe au complot

Nous avons vu que le trope du RESM s'était dégradé au cours de l'histoire, passant d'un statut mythique à des théories du complot (comme la pseudo-mort de Paul MacCartney par exemple) en passant par toutes les étapes de légendes, rumeurs de survie et théorie de remplacement.

On peut d'ores et déjà noter dans cette involution dégénérative une dégradation du caractère sacré et une descente vers des légendes de plus en plus profanes. Notons au passage qu'on qualifie volontiers les différentes rumeurs circulant aujourd'hui ici et là de « légendes urbaines » comme si ces rumeurs naissaient de l'urbanité, de la ville qui serai alors le terreau idéal pour la propagation de telles idées. La ville, et surtout la ville moderne, tentaculaire, verticale, minérale et inhumaine est aussi un symbole de l'évolution des sociétés humaines. On date souvent l'apparition des premières civilisations à des villes primitives.

Il en est de même avec le caractère initiatique du trope du RESM que nous avons évoqué au début de cette étude. Dans nos sociétés modernes, les rites d'initiation ont quasiment disparus et il n'en reste que des ersatz comme le service militaire, le baccalauréat, le permis de conduire, la perte de virginité, etc. Les mythes, légendes et contes reprennent et prolongent le rite initiatique au niveau de l'imaginaire. Le rite n'est plus vécu dans sa chair mais raconté et imaginé, intériorisé en quelque sorte. Il y perd bien sûr de sa puissance originelle mais ce pis-aller est tout ce qui nous reste aujourd'hui.

De même, l'inversion du trope « le roi est mort » en « le roi est vivant » ou « l'antagoniste est mort » n'est pas sans nous faire penser aux travaux de C.L. Strass sur la structure des mythes et notamment sur sa formule canonique.

Ainsi, par cette étude de cas du trope du RESM, nous pensons avoir mis en évidence comment un mythe pouvait dégénérer en théorie du complot. Pour conclure, nous dirons que l'homme semble avoir toujours eu un besoin irrépressible de croire et que dans notre monde moderne, ce besoin de croire, n'étant plus assouvi par la religion qui a pourtant soutenu l'humanité à bout de bras pendant des millénaires, ce besoin de croire, disons-nous, se pervertit en théories du complot incroyables, au propre comme au figuré. L'homme aime les histoires, aime qu'on les lui raconte et en ce sens reste sa vie durant un enfant émerveillé à l'écoute d'un conte de fées. On comprend là aussi, soit dit en passant, le succès dont peut jouir les plus grossières propagandes, les ingénieries sociales les moins subtiles qui soient. Loin de rester confiner aux domaines du cinéma et de la littérature (des divertissements ayant pour but de divertir, de faire diversion afin de ne pas s'occuper de ce qui ne regarde pas le menu peuple), la suspension consentie d'incrédulité semble avoir encore de beaux jours devant elle.


VIII. En guise de conclusion

Dans cette modeste étude, nous pensons avoir montré la persistance du trope du RESM dans l'histoire. Par des actualisations historiques, des pseudos-incarnations, des renversements et inversions, il reste toujours présent dans l'air du temps et dans la psyché humaine. Nous avons aussi vu comment un mythe pouvait dégénérer de concert avec l'humanité pour devenir in fine une vulgaire et piteuse théorie du complot. L'étude portant sur la généralisation ou l'infirmation de cette thèse reste à faire. Est-ce un schéma général ? Tous les mythes originels ont-ils vocation à involuer en théorie du complot ? Nous ne pouvons pour l'instant répondre.

Finissons par dire que nous somme passé du légendaire roi Arthur à un anti-roi, un vulgaire bouffon télévisuel, un saltimbanque de bas-étage qui usurpe et ainsi terni son nom. De même, si naguère les usurpateurs endossaient le costume d'un souverain ou d'une autre tête couronnée, aujourd'hui, ils ne sont plus que des escrocs se faisant passer pour de vulgaires vedettes du show-business ou même pour de simples bourgeois de province comme Christophe Rocancourt, Jean-Claude Romand ou Stéphane Bourgoin. Les rumeurs de survie, quant à elles, concernent désormais des personnages de faits divers comme Xavier Dupont de Ligonnès. Nous sommes loin de la grande-duchesse Anastasia. De nos jours, même les imposteurs n'ont plus de grandes figures à usurper. Quant aux sosies, après entre autres Saddam Hussein, c'est Vladimir Poutine qui se voit censément remplacé par de multiples sosies. Les propagandistes de tous pays, à l'image des publicitaires et autres créatifs du département des relations publiques ne sont pas près de connaître une crise qui ne les concernera jamais.


Appendices

Afin de ne pas alourdir outre mesure le corps de cette étude, nous développerons ici certains points jusqu'alors passés sous silence mais qui, à nos yeux, méritent de s'y attarder.


I. Trope adjacent

Il existe un trope relativement similaire à celui du RESM. Il s'agit de celui dit des « Sept Dormants d'Éphèse ». Dans ce récit, des chrétiens persécutés sont endormis dans une caverne pendant une très longue période. La première occurrence de ce type de récit remonte au Vième siècle ap. J.C. Nous trouvons aussi dans l'Islam un récit similaire, celui dit des « Gens de la Caverne » (sourate 18 du Coran). Ce qui est remarquable avec ce trope, c'est le nombre de cavernes censées être à l'origine du récit. On peut en trouver au moins six, de la Turquie jusqu'en Chine, toutes visitables et bien sûr rigoureusement authentiques. Cela nous permet de souligner la popularité de ce trope. Comme celui du RESM, il semble cristalliser des idées universelles dans la psyché humaine. Nous ne pouvons clore là cette partie sans évoquer la légende, très contemporaine pour le coup, des soldats du bunker de Babie Doly. Dans ce village polonais, cinq soldats allemands auraient été piégés à la fin de la seconde guerre mondiale dans un bunker sous-terrain dont le tunnel d'accès aurait été dynamité. Ce bunker aurait contenu tout ce qui est nécessaire à la survie. Sur le cinq soldats, deux se seraient suicidés, deux autres seraient morts de maladie et un seul aurait réussi à sortir vivant de ce bunker après six années passées sous terre. La légende est intrigante mais bien sûr créée de toutes pièces par un journaliste en manque de déontologie et de sujets à traiter. Ce qui est remarquable, c'est l'efficacité de ce type de récit sur ses auditeurs et le force de propagation de ce qu'on appelle une légende urbaine. Ce type de rumeur se propage de cour de récré en machine à café et on le tient toujours de source sûre comme de l'ami du voisin du cousin de mon beau-frère. Ainsi, jusqu'aux débuts des années cinquante, le trope du RESM ou une de ses variantes reste opératif et efficace. Les ressorts psychologiques mis en jeu n'ont pas perdu de leur pouvoir. Il en est ainsi de ce qu'on pourrait appeler des invariants universels dans les schémas de pensée humaine.


II. Les créatures

Nous pouvons trouver dans le trope du RESM un écho à toutes une faune de créatures imaginaires ayant des caractères similaires. Les premiers d'entre eux qui peuvent nous venir à l'esprit sont les zombies et autres vampires. Les zombies sont aussi appelés morts-vivants et sont décrits comme étant des cadavres, en état de décomposition plus ou moins avancée, ramenés à la vie, ou plutôt à une pseudo-vie pour servir d'antagonistes à toutes sortes de récit. On ne compte plus les scènes de film d'horreur montrant une main décharnée surgissant d'une sépulture ou une horde de zombie sortant de leur tombeau. Dans le même esprit, le vampire est lui aussi quelque part un mort-vivant. Dormant à l'abri de la lumière du soleil le jour durant et se mettant en chasse de sang frais la nuit venue. Dans ces deux exemples, nous avons un personnage dans un état limite entre la vie et la mort, à la demeure souterraine et aux intentions maléfiques. Il y a là une inversion du trope, le bon et sage roi devenant l'antagoniste du récit, le « méchant ». La figure du zombie ne surgit pas d'ailleurs de nulle part avec les films d'horreur. Ces origines mythiques et légendaires sont multiples. On cite souvent le culte vaudou comme originel. Néanmoins, la mythologie nordique a, elle aussi, son zombie dans la figure du draugr (littéralement « celui qui marche après la mort »). Ces créatures sont des cadavres animés demeurant en leur tumulus et gardant souvent un trésor dont le héros doit s'emparer. Ce récit type des sagas, notamment islandaises (Saga de Grettir) a d'ailleurs inspiré les romanciers américains L. Sprague de Camp et Lin Carter dans la nouvelle « la Chose dans la crypte », une aventure de Conan le Cimmérien, personnage créée par Robert E. Howard. Dans cette nouvelle, Conan, poursuivi par des loups affamés, se réfugie dans un tumulus dont il entreprend l'exploration. Il tombe bientôt nez à nez avec ce qui semble être le cadavre d'un roi atlante, toujours assis sur son trône, une épée posée en travers de ses cuisses. En s'emparant du glaive, Conan réveille le roi mort et doit le combattre. Dans ce récit, nous avons bien un RESM à ceci près qu'il est un adversaire du héros et qu'il n'a pas vocation à sortir vivant de sa crypte. L'autre pilier du roman fantastique américain, H.P. Lovecraft, a lui aussi puisé dans ce trope, sûrement inconsciemment, ce qui n'en est que plus marquant, en concevant son dieu/monstre mythique Cthulhu. Celui-ci est censé être endormi depuis des millénaires dans la cité de R'lyeh engloutie sous les flots de l'océan pacifique (« Dans sa demeure de R'lyeh, le défunt Cthulhu attend en rêvant. » et « N'est point mort celui qui éternellement dort, et en d'étranges éternités, la Mort elle-même peut trépasser. »). Dans son récit, ses adorateurs dégénérés vouent un culte à Cthulhu en attendant son avènement terrestre. Ici, le RESM devient un dieu monstrueux endormi sous les flots. Le « héros » est devenu le « méchant » et la montagne est aquatique. Pour clore cette partie, nous évoquerons la figure contemporaine de Captain America, un héros de comics américain. Durant la deuxième guerre mondiale, il combat les nazis. À la fin de celle-ci, dans ce qui semble alors être sa dernière aventure, il sauve les États-Unis en désamorçant un missile dévastateur. Dans l'action, celui-ci explose en plein vol et Captain America se trouve plongé dans les eaux glacées de l'Arctique qui gèlent bientôt, transformant le héros en un genre d'hibernatus. Il semble mort et occulté pendant plusieurs années avant que d'autres héros ne le retrouvent et ne le ramènent à la vie. Il peut alors poursuivre son combat contre les forces du mal. Ceci nous montre bien que le trope du RESM, plurimillénaires, est toujours d'actualité dès qu'il s'agit de raconter des histoires, ses ressorts psychologiques s'appuyant sur des invariants universels.

© 2021 Jean Lecrenois
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